Histoires de bleu

Publié le par Café bleu

Que du
BLEU
par Yves-Henri Allard
 
   Le printemps nous ramène les couleurs. Elles aussi ont une histoire. Pour notre temps, le rouge est révolutionnaire, mais arrive l’orange, qui n’est plus réservé aux protestants d’Ulster. Le vert a coloré les cocardes feuillues de Desmoulins, les pancartes des écolos et l’étendard des mahométans. L’arc-en-ciel total, qui montra aux survivants du Déluge la réconciliation avec le Ciel, flotte toujours sur les marais mal desséchés, par delà Noé.

   Nous avons passé au bleu le bleu. Il en existe mille nuances, du turquoise à l’indigo. Avant tout, voici l’azur, le ciel en plein jour qui, disent les spationautes, fait de notre planète céruléenne le joyau du système solaire. Le plus lumineux est le bleu roi. Ce bleu de France par excellence est celui de la chape de saint Martin, ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de le raconter. Son histoire relie Capet à Clovis et il s’attache maintenant à la hampe de l’emblème national.

   La Prusse a aussi le sien, sombre et cyanique, envahissant. Nous lui préférerons notre marine ou l’outremer. Côté uniformes, les Bleus ne furent guère appréciés en Vendée, bien qu’ils soient aujourd’hui acclamés ou hués sur les stades. La bleusaille doit s’aguerrir. Le bleu-gendarme et le bleu-police sont attendus ou redoutés. Le bleu-jonquille, décomposition du vert des chasseurs, est souvent remplacé par le blanc de neige, plus spectaculaire. Le bleu horizon, évocateur du bond héroïque hors de la tranchée et des ciels lumineux de la victoire, rappelle aussi les souffrances de la Grande guerre, les déceptions d’une paix précaire et les débuts d’une autre guerre qui ne fut « drôle » que peu de temps. L’Histoire n’est pas un conte bleu.

   A Byzance, les Bleus et les Verts s’affrontèrent. Cela nous fait souvenir de Pallas-Athéna « aux yeux glauques ». Il s’agit d’un bleu-vert foncé, couleur de la Méditerranée où règne le dieu Glaucos. Curieusement, seuls les botanistes en connaissent encore la nuance, qui est celle de certains feuillages ; pour presque tout le monde, l’attraction des « glacé », « glissant », « glaireux » et la teinte des mers septentrionales en a fait une couleur mal définie, grisâtre, jaunâtre, d’aspect répugnant. Très proche en est le pers - dont le souvenir reste à Paris dans la rue de la Cloche-perce, provenant d’une enseigne - et qui sert aussi à qualifier l’iris de la déesse.

   Le sang bleu est celui qui coule sous la peau fine et pâle de ceux qui ne travaillent pas au dehors. Les anciens barbiers-chirurgiens se signalaient par un flot de rubans, bleu comme les veines, rouge comme le sang, blanc comme les pansements, d’où est venu le tourniquet tricolore qui servit naguère d’enseigne aux coiffeurs.

   Et Barbe-bleue ? On prend ce monstre pour un surmâle au poil aile-de-corbeau, alors que le « bleu » était une variété de gris ; en cet époux vieillissant, le plaisir émoussé laissait place à la cruauté, seule source d’excitation qui lui restât. Cette acception mélancolique, « des bleus à l’âme », demeure dans le « blues » américain.

   Il existe encore bien des « bleus » à raconter, de peur, de lessive, de travail, en cadis de Nîmes ou de Gènes, d’architecture, de cuisine pour les truites, le steak, le vin et bien entendu les fromages. Le pastel des cocagnes fit la fortune d’une province. Les fillettes aux yeux « fleur de lin » ne cueillent plus de bluets dans les champs de blé, mais cela ne m’empêchera pas de finir cette bluette, ou ce petit-bleu, en faisant resplendir les pierres de la Couronne : le Régent, exposé au Louvre, est un diamant très légèrement bleuté ; le Muséum recèle le saphir rhomboédrique de Louis XVI.
 
YHA
 

Publié dans Beaux textes

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