Chine, l'ère de l'émancipation, par Xavier WALTER

Publié le par Café Bleu

Chine, l'ère de l'émancipation

 

« 30 ans de réformes et d'ouverture »

La Chine a évolué en trente ans comme aucun groupe humain depuis l'origine des âges.

Si 7 à 800 millions de Chinois, en zone rurale ou petites gens de Pékin, de Shangaï ou d'ailleurs travaillent dans les rues, les usines, les ateliers ou les échopes pour un salaire leur procurant à peine gîte et couvert, 150 à 200 millions de Chinois citadins, classe moyenne montante, vivent désormais dans des conditions identiques à celle des « middle class » de l'hémisphère occidental.

 

« L'homme remarquable »

Lors du « 3ème plénum du Comité central issu du XIème congrès du PCC de décembre 1978 », le pays adopte officiellement la politique nouvelle que résument les mots « réformes » et « ouverture ». Le promoteur de cette renaissance de Zonghua, nom officiel de la République populaire signifiant « la Splendeur du Milieu » c'est celui qu'en 2008, le pays nomme weiren, « l'homme remarquable », Deng Xiaoping. Deng n'a pas caché à ses compatriotes que ce renouveau requérait d'eux « un effort de soixante ans, au moins. » Le «  3ème plénum » se voulait dans la continuité du 4 mai 1919 (ou « 5-4 », date-phare pour la Chine qui a vu ce jour-là à Pékin une manifestation contre les conditions du traité de Versailles qui cédait au Japon les secteurs du pays occupés par les Allemands, et contre « l'ancienne société » qui avait conduit, d'humiliation en humiliation, la Chine à un état d'impuissance totale) et de Mao: il n'y a pas eu « rupture », mais « émancipation ».

 

L'émancipation de notre pensée

« L'émancipation de notre pensée est la clé aux pouvoirs incalculables de l'essor du socialisme aux caractéristiques chinoises », répète le président Hu Jintao. Emancipation ne consiste pas, comme en Occident, à faire table rase du passé, mais bien à prendre d'hier ce qu'il y a de meilleur, à y apporter ce qu'aujourd'hui dicte d'apporter. Yanfu, vers 1890, disait: « Pour être fidèle à la pensée du Grand Kangxi, il convient de l'adapter aux réalités contemporaines. » Le schéma répandu d'une tradition chinoise hostile à la liberté et au progrès est à corriger. L'histoire de la Chine est perpétuelle évolution de la pensée, des moeurs comme des techniques et des arts, empruntant à l'étranger, dans tous les domaines, ce qui lui seyait d'emprunter, avant de le siniser radicalement.

Tout n'a pas commencé fin 1978. Dès le lendemain de la mort de Mao en septembre 1976, les gauchistes, « les Quatre », sont arrêtés. Deng, éloigné depuis quelques moi, reparaît. En mars 1977 , il retrouve ses fonctions, dont la vice-présidence de la commission centrale militaire.Dès avril, une conférence sur l'industrie reprend les thèmes des Quatre Modernisations – de l'agriculture, de l'industrie, des sciences et techniques, de la défense nationale – annoncées par Zhou Enlai en 1964. Une Constitution est adoptée, la Conférence consultative politique du Peuple chinois est réunie pour la première fois depuis treize ans. Des personnalités religieuse font leur réapparition. Le XI ème Congrès du PC s'ouvre en août, nombre de victimes de la Révolution culturelle sont réhabilitées. Une Ecole centrale du Parti est ouverte, des examens organisés pour accéder aux universités. À l'automne, des journaux muraux – dazibao – réclament « respect des droits de l'homme » et « démocratie ». En décembre, le Parti officialise la « théorie de Deng Xiaoping » en gestation depuis dix-huit mois: Deng va décentraliser l'économie planifiée et l'intégrer au marché mondial. Cependant, si les campagne sont décollectivisées, si les paysans recouvrent une large liberté de produire et de comercialiser leurs produits, si dans l'industrie et le commerce, les mots d'ordre sont « responsabilité », « rentabilité », « autonomie de gestion », cette « révolution chinoise dans la révolution chinoise » laisse à l'Etat la fonction de macro-contrôle.

 

1978 – 1988

Début 1979, Deng s'envole pour Washington. Son fidèle collaborateur Hu Yaboang est secrétaire général du PCC. A Pékin, les journaux muraux « non autorisés » se multiplient, des paysans manifestent, réclamant « droits de l'homme » et « à manger ». Deng a fixé les limites à ne pas franchir: toute manifestation qui s'opposerait à la direction du PCC est interdite. Des meneurs sont arrêtés, certains emprisonnés, d'autres réclamant que soit réévalué le rôle de Confucius sont entendus. Fin 1980, Deng suspend les réformes des entreprises publiques tant leur assainissement s'avère difficile sans mesures socialement trop coûteuses. Le pays est en effervescence. En 1981, la campagne est lancée contre «  le libéralisme bourgeois »; en 1983 contre « la criminalité et la pollution spirituelle ». Avec le Document 19, la liberté religieuse s'étend. En 1984, la règle « un couple, un enfant » est imposée non sans résistance surtout dans les campagnes où enfants signifient main d'oeuvre et continuité familiale assurés. Les réformes reprennent dans le secteur urbain des industries d'Etat, les communes populaires sont officiellement abolies. Quatorze villes côtières sont ouvertes aux investisseurs étrangers. En 1985, des valeurs mobilières sont émises. Les effectifs de l'armée sont réduits.

L'essor dû à l'abandon des recettes maoïstes a sa contrepartie: les prix alimentaires accusent une hausse inquiétante. En janvier 1986, un discours de Deng sur la corruption au sein du PCC suscite dans l'opinion « des considérations sur la démocratie ». Le yuan est dévalué de 15% et des étudiants manifestent à Pékin « pour la démocratie » et « contre la vie chère ». Beaucoup sont arrêtés; certains punis légèrement. Plus important, Deng pour apaiser les dissensions dans la haute hiérarchie, sacrifie Hu Yaobang que Zhao Ziyang remplace comme secrétaire général du PCC par intérim. Quelques intellectuels « libéraux » sont exclus du PCC. Des restrictions sont apportées aux échanges avec l'extérieur, alors que la Chine s'était ouverte: en signant de gros accords économiques avec les Etats-Unis et la Communauté européenne en 1980; en renouant le dialogue avec l'URSS en 1983; en parvenant en 1984 à l'accord, signé à Pékin par Margaret Thatcher, sur la rétrocession de Hong Kong, fixée au 1er juillet 1997; en signant à Moscou une convention commerciale pour cinq ans en 1985; en parvenant en 1986 à l'accord sur la rétrocession de Macao par le Portugal pour 1999. En novembre 1987, Deng quitte le Bureau politique mais reste à la tête de la Commission militaire centrale. Le désaccord sur le rythme de la « modernisation » persiste et l'inégalité de développement entre les régions est inquiétante.

 

1989, Tian'anmen

Les dirigeants ont lieu de redouter 1989, conjonction du bicentenaire de 1789, du 70ème anniversaire du « 4-mai », du 40ème anniversaire de la République populaire.Or, le 15 avril, Hu Yaobang, le « sacrifié » de 1987, meurt, la jeunesse qui lui a su gré de sa « tolérance », manifeste, réclame sa réhabilitation. L'ordre va-t-il être rétabli? Le gouvernement ne veut pas compromettre la visite de Gorbatchev attendu mi-mai. Le délai envenime la situation. L'Armée est mobilisée, la loi martiale proclamée fin mai. L'épreuve de force a lieu dans la nuit du 3 au 4 juin et fait plus d'un millier de morts autour de Tian'anmen. Suit une répression sévère. L'Occident qui voyait déjà la Chine suivre le mouvement de « libéralisation » que connaissait l'Europe orientale voue aux gémonies les « gérontes » pékinois.

L'opinion occidentale est convaincue en tout cas que des centaines de millions de Chinois exigent « droits de l'homme » et « démocratie ». Mais quels droits de l'homme? Quelle démocratie? S'agit-il de reconnaître la Charte des Droits de l'Homme de 1946, d'instaurer le suffrage universel? Tournons-nous vers Confucius: « Dans le Shujing, il est dit: « Notre aimable prince est le père du peuple ». Etre le père du peuple, c'est aimer ce qui plaît au peuple, et avoir en aversion ce qui lui déplaît » Notre culture politique nous invite à voir là le motif à recourir au suffrage universel. C'est négliger le crédit que le sens pratique des confucéens accorde au savoir, à la compétence, à l'expérience d'un côté, à l'éducation, donc, de l'autre. Parlant des événements du printemps 1989, Deng dit : « L'erreur ne tient pas aux Quatre Principes [rôle dirigeant du PCC, voie socialiste, dictature du prolétariat, marxisme-léninisme-pensée-maozedong], mais au fait que nous ne les avons pas mis en pratique de façon assez soutenue. Il nous faut intensifier l'éducation et y persister pendant les soixante ans à venir. » La société confucéenne ignore la notion de droit, tous ne s'y connaissant que des devoirs, au bout desquels chacun reçoit son dû. Deng nommera « révolution spirituelle » cette éducation de la population qui lui tient à coeur. Si nous autres, Occidentaux, « légistes », spéculons sur le respect de la loi, les Chinois, « moralistes » ne se font guère d'illusions sur sa portée: officialiser un devoir n'est rien, il convient que l'usage en pénètre les moeurs.

Au lendemain de Tian'anmen, la Chine va paraître tentée de se refermer, mais elle surmonte le traumatisme que troubles, répression et incompréhension du monde lui ont causé. Deng a quitté toute fonction, mais demeure « derrière le paravent » et en 1993 voit officialiser la toute chinoise « économie socialiste de marché » en usage depuis 15 ans. Puis il s'efface et meurt en 1997. Jiang Zemin qui préside alors aux destinées de l'Empire a été choisi par lui. Pour assurer la continuité, après Jiang, Deng a attiré l'attention sur un jeune cadre né en 1942, Hu Jintao. Il est évident que c'est Deng qui doit être crédité de la revitalisation du pays et de son économie. Il a, à terme, permis à la Chine de connaître une croissance annuelle moyenne de 10%; il a commencé à libéraliser la société tout en en sauvegardant l'unité. Leur activité déborde les frontières. Il y a des Chinois dans tous les grands orchestres de la planète, en 2000, un romancier chinois recevra le prix Nobel, les films chinois séduisent les cinéphiles du monde entier.

 

L'alerte de 1997-1998

En 1997, une crise financière surprend les « petits dragons » et « petits tigres », Etats émergeants du Sud-Est asiatique que sont la Corée du Sud, Taïwan et Singapour, la Malaisie, l'Indonésie, la Thaïlande et les Philippines: de Bangkok à Manille, Bourses et monnaies locales plongent. Le mal est contagieux. La Corée du Sud est touchée, puis le Vietnam et l'Inde. Le Japon est inquiété quand le yen montre des faiblesses face au dollar. Quant à la Chine, la Banque Mondiale la complimente dans son rapport China 2020: avec son taux d'épargne très élevé, des réformes pragmatiques réussies, une population disciplinée, une diaspora très active, la Chine, « numéro 2 mondial pour les investissements étrangers deviendrait la deuxième économie du monde avant 2020 ». Il faut dire que sa monnaie, pour des raisons de stratégie commerciale, a été dévaluée deux fois en 1994. Les dirigeants chinois renforcent le contrôle des changes et lutte contre le trafic illicite de devises. 1998 est difficle. Au marché noir, le dollar US dépasse les 10 yuan pour un cours officiel à 8,28. La croissance des exportations est de 7,6% pour le premier semestre 1998 contre 21% en 1997. Les industriels chinois craignent une montée des mouvements sociaux et militent en faveur d'un ajustement qui dopât les exportations. Pékin accroît ses aides à l'exportation sans empêcher la rumeur de courir d'une dévaluation du yuan de 30%...

A la fin de 1998, j'écris (pour Alain Peyrefitte): « On considère à Pékin qu'une dévaluation du yuan aurait de dramatiques répercussions sur les économies des pays « émergents » voisins: on entend donc maintenir la parité yuan/dollar pour des raisons « morales ».[...]La Chine a les moyens de cette politique, même si sa population doit voir s'accroître ses difficultés ou freiner son développement. Ses réserves en devises sont considérables, surtout depuis le retour de Hongkong à la mère patrie! La Chine joue un rôle stabilisateur... » L'aura impériale que la Chine entend retrouver dans le monde pour lequel elle est xiong, « frère aîné », sinon fumu, « père et mère », s'en trouve renforcée. La Chine est active à l'endroit de ses voisins de l'ASEAN, Association des Nations du Sud-Est asiatique, à partir de 1991 et surtout depuis 1995. Sa volonté d'accéder à l'OMC commande également à la Chine d'appliquer cette rigueur à elle-même; elle y rentrera en 2001.

 

La Chine se développe sur le fil du rasoir

Les entreprises chinoises émanent en grande majorité de l'Etat. Elles se sont lancées dans une politique de joint-ventures avec des produits étrangers, dans le dessein de favoriser sous-traitance et pénétration des produits étrangers en Chine. La Chine a suivi « le modèle de développement inventé par Singapour dans les années 1960, [qui] consiste à attirer un maximum d'investissements étrangers, notamment au sein de zones spéciales entièrement réservées aux multinationales », l'intérêt des investisseurs résidant principalement dans la main d'oeuvre bon marché.

Fin 1998, l'alerte est passée. La productivité est repartie. En 2006, le PIB de la Chine qui dépasse désormais celui de la France, a atteint 20 940,7 milliards de yuan. Quant à la courbe de la hausse de la production, si, par rapport à 1997 (9,3%), elle accuse une légère baisse en 1998 et 1999 (7,8 et 7,6%), elle repat à la hausse dès 2000 (8,4%) et est en croissance continue à partir de 2002 (9,1%), dépasse 10% en 2003, pour atteindre 11,7% en 2007. En 2006, la Chine détient plus de 1 000 milliards de devises.

Pour autant, la progression de la Chine ne sera pas forcément géométrique. Si les étrangers se détournent d'investir et d'acheter en Chine, si une crise financière, qu'elle soit chinoise ou mondiale, entraîne l'effondrement du marché, la Chine se trouverait vite dans une situation explosive.

La morale pour établir le bon gouvernement.

La Chine fait des lois pour s'entendre avec les barbares d'hier et être comprise d'eux. Mais le régime chinois demeure proche, mutadis mutandis, de ce que fut sous les meilleurs empereurs l'administration de l'Empire. Des institutions naissent, reprises d'usages nationaux, inspirées d'institutions étrangères. Le PCC amende et publie ses statuts, longtemps tenus secrets. C'en est fait du marxisme orthodoxe, de sa « dictature du prolétariat ». En 1997, au XVème congrès, les « théories de Deng », présentées comme « une sinisation du marxisme » sont intégrées au canon du PCC. En 2002, le XVIème congrès ajoute la « Triple Représentativité »: le Parti représente « les forces productives (ex-classe ouvrière), l'avant-garde culturelle et le peuple au sens large », place y est faite aux entrepreneurs, aux intellectuels, aux classes moyennes. Avec Hu, le « concept scientifique du développement » vient à son tour siniser le socialisme doctrinal, faisant appel surtout, malgré la terminologie, au pragmatisme et à la morale individuelle et collective.

On ne serait plus en Chine s'il n'était fait appel à la culture nationale qui, dit Hu, « pousse la nation toute entière à resserrer sa solidarité et à aller de l'avant ».

La Chine n'a renoncé ni au crédit de la containte – son gouvernement est autoritaire – ni surtout à celui de la morale. En font foi les Huit honneurs et déshonneurs énoncés par le président Hu au début de l'année 2006:

1- Aime la mère-patrie, ne lui nuis pas.

2- Sers son peuple; ne le lèse pas.

3- Considère la science; refuse ignorance et obscurantisme.

4- Travaille dur; ne sois pas paresseux, ne renâcle pas à l'ouvrage.

5- Fonds-toi dans notre peuple, aide les autres; ne fais pas de profits à leurs dépens.

6- Sois honnête et loyal; ne quête pas les bénéfices au prix de ta dignité.

7- Sois discipliné et respectueux de la loi; ne sois pas négligent et sans aveu.

8- Recherche la vraie vie et son rude combat; ne te vautre pas dans le luxe et les plaisirs.

 

C'est notoire, des manifestations de mécontentement ont lieu un peu partout tous les jours. Quelques 80000, surtout rurales, pour la seule année 2006. L'Etat punit quelques meneurs et cède aux requêtes les plus urgentes. Sous Mao, guère de revendications impatientes, crevât-on de faim, la terreur explique pourquoi. On ne crève plus de faim en Chine même si les temps restent austères pour beaucoup. Les Occidentaux ont oublié dans quelle misère matériele vivaient trop de leurs pères dans les années 1920-1930 encore et au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ce n'est pas le suffrage universel qui a réduit les inégalités en Occident mais les « Trente Glorieuses » et leur développement économique tous azimuts. Deng a demandé le temps d'une vie d'homme pour que réformes et ouverture portent vraiment des fruits, matériels et moraux. La moitié du délai est passée, les fruits produits sont encourageants.

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